2023-01-06

Il y avait longtemps que j’avais entendu cette expression, « burn rate ». Je crois que la dernière fois remonte au début des années 2000, alors que les titres technos s’étaient écrasés en Bourse. Des centaines d’entreprises technologiques avaient fait le saut en Bourse pendant les années folles de la bulle techno de la fin des années 1990. La plupart d’entre elles perdaient beaucoup d’argent et, avec l’éclatement de la bulle techno, n’avaient soudainement plus facilement accès au capital des investisseurs.

De nombreux observateurs parlaient alors de « burn rate », soit du lapse de temps dont dispose une société avant qu’elle ne consume les liquidités qui lui restent. Une traduction de l’expression « burn rate » pourrait être « espérance de vie ». Au cours des dernières semaines, je constate que l’expression est de plus en plus actuelle.

Vous rappelez-vous la quantité innombrable de sociétés qui ont fait faillite au cours des premières années 2000? Des sociétés telles que CDNow, Healtheon ou Talk City?

À moins d’un renversement de marché, j’ai l’impression qu’on pourrait assister à un phénomène similaire au cours des prochaines années. Après des années fastes pendant lesquelles le capital était quasiment illimité et peu coûteux, les conditions ont soudainement changé en 2022 avec des hausses marquées des taux d’intérêt et l’effondrement des marchés boursiers. La dette est devenue chère et les prêteurs frileux, alors que les investisseurs sont peu enclins à acheter de nouvelles émissions d’actions.

Du jour au lendemain, les entreprises dont le modèle d’affaires est déficitaire devront dorénavant concentrer leurs efforts sur la génération de flux monétaires et sur la rentabilité, un changement draconien après des années à viser la croissance tous azimuts des revenus.

Je calcule le « burn rate » d’une entreprise déficitaire en comparant ses flux de trésorerie libres négatifs (« negative free cash flows ») des 12 derniers mois à son encaisse nette actuelle.

Prenons un exemple : la société AMC Entertainement, dont le titre a été fort populaire en 2021 lors de l’épisode des « meme stocks », a enregistré des flux de trésorerie libres négatifs d’environ 717 M$ au cours des 12 derniers mois. À son bilan du 30 septembre 2022, on constate que la société disposait d’une encaisse de 684,6 M$ alors que sa dette bancaire totalise plus de 5,3milliards $, pour une dette nette de 4,64milliards $. Dans ce cas extrême, le « burn rate » serait négatif (– 6,5 ans = – 4,64 G/717 M). Inutile de dire que cette société est dans une situation financière particulièrement précaire (ce qui pourrait expliquer la chute de près de 85 % de son titre en 2022).

Un autre exemple. Récemment, la société Enghouse Systems, que nous possédons dans nos portefeuilles sous gestion, a annoncé qu’elle comptait acquérir la société américaine Qumu pour la somme de 18 M$ US en espèces. Cette société, dont le titre est coté en Bourse (« QUMU »), offre des solutions vidéo aux entreprises en mode infonuagique. Le titre valait plus de 10 $ l’action en mars 2021, alors que le prix offert par Enghouse est de 0,90 $ US. Pourquoi une telle débandade? Tout simplement parce que Qumu est déficitaire. Je calcule que son « burn rate » est de moins de 6 mois (6 M$ d’encaisse nette / flux de trésorerie libres de – 12,5M$ au cours des 12 derniers mois). Leurs dirigeants auront choisi de se faire acheter plutôt que de prendre le risque de ne pas avoir accès au capital dans les mois à venir.

Comme en 2000, il existe présentement un grand nombre de sociétés qui, ayant fait le saut en Bourse au cours des dernières années, perdent toujours beaucoup d’argent. Si vous possédez certaines d’entre elles, je vous suggère de calculer leur « burn rate » afin de mesurer le risque qu’elles ne réussissent pas à traverser ce qui s’annonce comme une longue période d’accès restreint au capital.

À l’opposé, on peut selon moi s’attendre à ce que les sociétés rentables et en bonne santé financière prennent enfin leur place au soleil. Ce sera un juste retour du pendule.