2023-08-11

Par Jean-Philippe Legault, blogueur invité

Comme plusieurs enfants, mes jumeaux ont cette vilaine manie de toujours vouloir se copier. Si l’un prend un crayon rouge, l’autre voudra assurément un crayon rouge. Si l’un décide de jouer au baseball, l’autre voudra jouer au baseball. Même si ce n’est pas toujours facile de gérer ces interactions, je me rassure en me disant que ce processus d’imitation est normal et qu’il s’estompera avec le temps.

Lorsque je regarde le comportement de certains dirigeants d’entreprises, je réalise que ce désir de copier les autres ne semble pas toujours s’estomper avec le temps. Il se manifeste certainement de façon différente, mais demeure souvent présent.

Dans sa lettre aux actionnaires de Berkshire Hathaway écrite en 1989, Warren Buffett nommait ce phénomène l’ « impératif institutionnel » (institutional imperative). Il a écrit que le comportement de sociétés évoluant dans une même industrie sera souvent imité sans grande réflexion. C’est souvent le cas lorsqu’une société annonce une acquisition importante. L’histoire impliquant Fiserv (FI), Fidelity National Services (FIS) et Global Payments (GPN), trois sociétés évoluant dans l’industrie des paiements, est patent.

En janvier 2019, Fiserv annonçait son intention d’acquérir la société First Data. Cette acquisition majeure de 39 milliards de dollars US lui permettait d’étendre son offre de services dans un tout nouveau segment, celui de l’acceptation de paiements. Fiserv devenait ainsi un joueur mondial important offrant des solutions dans plusieurs domaines de l’industrie des paiements.

Cette transaction a déclenché une série d’acquisitions similaires. En mars 2019, Fidelity National s’entendait pour acquérir la société Worldpay; en mai 2019, Global Payments s’entendait pour acquérir TSYS.

Ce qui est surprenant de ces acquisitions est que les trois sociétés concurrentes ont acquis des sociétés complémentaires très similaires. De plus, les dates de transaction étaient rapprochées. Cette histoire me donne l’impression que Fidelity National et Global Payments ont littéralement imité Fiserv. Elles ont acheté la « même chose », pratiquement en même temps.

On peut certainement expliquer ce comportement par le désir de demeurer compétitif. Toutefois, je me questionne sur le bien-fondé de ces acquisitions. Étaient-elles rationnelles? Ont-elles été faites avec un sentiment d’urgence? Le prix payé était-il juste? Selon mon analyse, Fiserv a payé près de 12,0 fois les bénéfices d’exploitation, alors que Fidelity National et Global Payments ont payé près de 50 % plus cher, soit des multiples respectifs de 19,0 fois et 17,0.

À mon avis, les dirigeants de Fidelity National et de Global Payments ont subi une immense pression – une pression « institutionnelle ». Imaginez que vous êtes le dirigeant de Fidelity National ou de Global Payments et que vous optez de ne pas suivre Fiserv. Vous vous retrouverez dans une bien mauvaise position si l’acquisition de Fiserv devient un succès fulgurant. À bien y penser, qui peut reprocher aux dirigeants d’avoir effectué une méga acquisition si tout le monde en fait une? Voilà une belle façon de conserver son emploi non?

Avec le recul, la décision de copier Fiserv n’a pas été un succès. Fidelity National a récemment annoncé qu’elle avait revendu la moitié de Worldpay, avouant que cette acquisition avait été un échec. En 2019, elle avait payé près de 43,0 milliards de dollars US, alors que la récente vente établit désormais sa valeur à près de 18,5 milliards US, une perte d’un peu plus de 50 %. Sans surprise, les performances financière et boursière de Fidelity National ont été décevantes. La veille de l’annonce de l’acquisition, le titre se négociait à 109 $; quatre ans plus tard, il se négocie à 58 $.

Quant à Global Payments, elle a réussi à générer une croissance des bénéfices qui ne s’est toutefois pas reflétée dans son cours boursier. La veille de l’annonce, le titre se négociait à 148 $ comparativement à 128 $ aujourd’hui.

À l’inverse, l’acquisition de Fiserv nous semble avoir connu un meilleur succès alors que les bénéfices ont plus que doublé depuis l’acquisition. Qui plus est, le cours boursier est passé de 75 $ la veille de l’annonce à plus de 126 $ aujourd’hui.

Actuellement, je regarde avec attention l’engouement pour le secteur de l’intelligence artificielle. Selon moi, il ne serait pas surprenant de voir plusieurs sociétés réaliser des acquisitions afin d’imiter leurs concurrents. Assisterons-nous à une vague de pression « institutionnelle »?

En terminant, je crois qu’il faut être prudent lorsqu’on voit des dirigeants d’entreprises imiter leurs concurrents. Imiter peut être une bonne stratégie, pourvu qu’elle reste fondée sur un bon raisonnement.