2025-07-17

Par Jean-Philippe Legault, blogueur invité

En décembre 1944, Hiroo Onoda, officier de l’armée japonaise durant la Seconde Guerre mondiale, a été envoyé sur l’île de Lubang aux Philippines. L’objectif de son unité militaire était de freiner les Alliés qui cherchaient à reprendre le contrôle du Pacifique aux mains des Japonais.

Lorsque les Américains ont débarqué sur Lubang en février 1945, Onoda et ses camarades n’ont pas fait le poids. Certains, dont Onoda, se sont enfuis dans les profondeurs de la jungle, tandis que d'autres ont décidé de se rendre aux Américains. À l’école militaire, Onoda avait été formé spécifiquement pour le renseignement militaire, en plus d’y avoir appris les techniques de guérilla et de sabotage. Il avait prêté serment de défendre l’île coûte que coûte. Il n’y avait donc aucune chance qu’Onoda se rende aux Américains.

Étant isolé dans la jungle, Onoda n’a pas eu connaissance de la capitulation du Japon le 15 août 1945 et, par conséquent, de la fin de la guerre.

Onoda est devenu une figure historique puisqu’il a continué à occuper Lubang jusqu’en 1974. Vous avez bien lu ! Pendant 30 ans, Onoda a cru que la guerre n’était pas terminée et il ne s’est jamais rendu, alors que la guerre avait pris fin quelques mois après son arrivée !

À la lecture de son livre, No Surrender: My Thirty-Year War, on réalise que les Japonais ont tout tenté pour convaincre Onoda d’arrêter son occupation. Ils ont distribué de multiples dépliants et articles de journaux relatant la fin de la guerre. Ils ont laissé des photos de famille avec des messages manuscrits l’exhortant à se rendre. Ils ont diffusé des chansons traditionnelles japonaises accompagnées de messages vocaux de sa famille l’appelant à se rendre. Son frère a même visité l’île pour tenter de le retrouver.

Cependant, Onoda a toujours cru qu’il s’agissait d’une supercherie. Il trouvait constamment un détail qui le faisait douter. Par exemple, il reconnaissait les membres de sa famille sur une photo, sauf un ; Onoda a conclu qu'il s'agissait d'une fausse image. Il a reconnu son frère à distance lors de sa visite sur l’île, mais la voix de ce dernier devenait de plus en plus tendue et aiguë lorsqu’il chantait une chanson. Onoda en a conclu qu'il s'agissait d’un imposteur puisqu’il ne reconnaissait pas la voix de son frère à la fin de la chanson.

Le comportement adopté par Hiroo Onoda me rappelle celui de certains investisseurs boursiers. En effet, certains investisseurs semblent diriger leur attention uniquement vers les détails qui confirment leur thèse d’investissement, en négligeant ceux qui la contredisent. En investissement, nous appelons ce biais psychologique le biais de confirmation.

Ce phénomène s’applique à plusieurs situations. Par exemple, un investisseur qui envisage la croissance d’une société dans son portefeuille sans percevoir les signaux de dégradation et l'accentuation de la concurrence. Ou encore, un investisseur qui ne voit pas les bouleversements et les changements qui s’opèrent dans une industrie, affectant le modèle d’affaires des sociétés qu’il détient.

Plusieurs exemples technologiques me viennent à l'esprit. Je pense à l’arrivée du commerce électronique, au développement des plateformes de vidéo à la demande (streaming) et à la croissance des réseaux sociaux ainsi qu'à leur impact sur la publicité. Il était facile, au départ, de rejeter leurs implications et de minimiser les conséquences qu’ils entraîneraient pour les industries existantes. Toutefois, les investisseurs qui ont continué de rejeter ces conséquences, malgré leur importance croissante au fil des ans, en ont certainement payé le prix.

Ignorer, minimiser et rejeter, sans jamais remettre en question, les impacts de la transition énergétique, des voitures autonomes, de l’intelligence artificielle, de l’édition génomique (CRISPR) et de la décentralisation via la blockchain sur les titres en portefeuille pourrait s’avérer coûteux. Un investisseur doit demeurer flexible et ouvert aux flux de nouvelles informations.

Il était probablement raisonnable pour Hiroo Onoda de se méfier des pamphlets annonçant la fin de la guerre. La probabilité qu’il s’agisse d’une ruse pour le capturer semblait plus élevée au départ. Toutefois, l’accumulation de nouvelles informations aurait dû amener Onoda à réfléchir différemment et à revoir sa position. Sa plus grande erreur fut son incapacité à s’adapter aux nouvelles informations.

Un investisseur boursier devrait éviter de se mettre des œillères comme l’a fait Onoda. Sinon, il risque de passer 30 ans dans la jungle inutilement.

Jean-Philippe Legault, CFA
Gestionnaire de portefeuille chez COTE 100

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