C’est le cas de « certitude ». Si vous entendez un expert dire, par exemple, qu’il est certain qu’une récession surviendra d’ici la fin de 2023, il a un problème de crédibilité à mon avis. Qui peut être certain de quoi que ce soit en matière d’économie ou de finance? On peut croire qu’il y a de fortes chances qu’une récession s’en vient, mais on ne peut pas en être certain.
Au cours des nombreuses dernières semaines, mon équipe et moi avons analysé le titre d’une société canadienne. Après une analyse du modèle d’affaires, des risques, des possibilités de croissance, etc., nous avons conclu que le titre était un achat sur la base de notre évaluation. Mais pouvons-nous conclure que nous sommes certains qu’un tel investissement sera lucratif au cours des prochaines années? Absolument pas! De nombreux facteurs, souvent imprévisibles, pourront influer sur les résultats de la société et sur notre évaluation de son titre au cours des prochaines années.
À mon avis, un investisseur est un probabiliste. Il prend des décisions après avoir soupesé le pour et le contre et estimé leur poids dans la balance des probabilités. Les conditions menant à la certitude n’existent pas.
Des mots extrêmes comme « apocalypse » sont également à proscrire. J’ai pourtant entendu l’expression « apocalypse économique » dans les médias récemment. La fin du monde économique, vraiment? N’est-ce pas un peu extrême? Comme l’a écrit Howard Marks, investisseur et auteur de plusieurs livres, « La plupart du temps, la fin du monde ne se produit pas ».
Le monde de la finance ou de l’économie n’est ni blanc, ni noir – il peut prendre diverses nuances de gris. L’investisseur travaille dans un environnement imprévisible où la certitude n’a pas sa place. Une décision devrait toujours être fondée sur une variété de scénarios auxquels sont rattachées des estimations de probabilités.
« Jamais » et « toujours » sont également à proscrire. Même constat pour « impossible ». Quel que soit le secteur dans lequel on investit, on ne peut connaître le futur. La concurrence est féroce dans la plupart des industries et la majorité d’entre elles seront perturbées par l’innovation dans les années à venir. C’est particulièrement vrai de nos jours alors que les développements technologiques arrivent à la vitesse grand V.
Dans la même veine, il faut faire attention aux analyses qui évaluent un titre boursier à deux décimales près. Comment quelqu’un peut-il proclamer que le titre de Couche-Tard vaut 71,36$? L’évaluation d’une entreprise ne peut pas être précise. L’exercice relève de l’estimation, de la supposition éclairée (« educated guess »).
Attention aussi aux expressions définitives telles que « la société XYZ jouit d’un modèle d’affaires inattaquable ». Une telle phrase pose deux problèmes selon moi. D’une part, on ne peut pas dire qu’un modèle d’affaires soit inattaquable; on devrait plutôt dire « difficilement attaquable ». D’autre part, en écrivant une phrase de ce genre, on émet une opinion – on croit que le modèle d’affaires de la société est inattaquable. Dans nos publications, nous essayons autant que possible d’écrire « nous croyons que » ou « nous estimons que ».
Le mot « garanti », comme dans « rendement garanti », est également à éviter. De fait, lorsqu’on parle d’investissements risqués comme les titres boursiers, la mention de « rendements garantis » devrait sonner l’alarme dans l’esprit de tout investisseur. Même parmi les placements plus « sécuritaires » que sont les obligations, il n’y a pas de garantie ou de rendements garantis. Il n’y a qu’à voir quels ont été les rendements obligataires nord-américains en 2022 pour s’en convaincre.
Lorsqu’un analyste ou un économiste tente de nous convaincre, il aura probablement avantage à paraître certain de ses prévisions et à utiliser des termes excessifs. L’investisseur avisé, lui, rétorquera que la certitude n’existe pas dans ce monde.