2024-08-02

PAR JEAN-PHILIPPE LEGAULT, BLOGUEUR INVITÉ

Dans les années 1990, Ziv Carmon et Dan Ariely ont entrepris une étude statistique avec des étudiants de l’Université Duke aux États-Unis. Ils ont réussi à rejoindre 93 étudiants qui étaient sur une liste d’attente pour acheter des billets pour une partie de la demi-finale du tournoi de Basketball de la NCAA. Ils leur ont posé deux questions.

 

  1. Quel est le prix maximum que vous seriez prêt à payer pour acheter un billet si vous n’en aviez pas?
  2. Quel est le prix minimum auquel vous seriez prêt à vendre votre billet, sachant que vous n’en aviez qu’un?

Selon vous, à quoi ressemblent les résultats? Avant de vous les présenter, il faut souligner que le basketball est un sport très populaire à Duke et que ce tournoi est très convoité. Si l’on exclut les cas les plus extrêmes, les étudiants étaient disposés à payer, en moyenne,166 $ pour un billet, alors que j’estime que son prix de vente était alors d’environ 45 $. En revanche, s’ils avaient déjà un billet, les étudiants n’auraient été prêts à le vendre, en moyenne, qu’à partir de 2 411 $.

Cette grande différence s’explique par l’effet de dotation (ou endowment effect). Ce biais psychologique stipule qu’une personne attribue plus de valeur à un objet qu’elle possède déjà qu’à un objet qu’elle ne possède pas.

Ce biais psychologique se présente de plusieurs façons en investissement. En voici deux :

Les régimes d’achat d’actions

Les employés de sociétés cotées en Bourse peuvent souvent participer à des régimes d’achat d’actions qui leur permettent d’acheter des actions de la société pour laquelle ils travaillent, alors que leur employeur accote l’achat selon une proportion préétablie.

Cette formule peut devenir très lucrative, si le titre d’une entreprise performe bien en Bourse et que l’employé reste à son emploi durant plusieurs années.

Ce cumul d’actions peut toutefois causer quelques problèmes. En effet, il m’arrive souvent de voir des portefeuilles complètement déséquilibrés par de tels régimes d’achat d’actions. J’ai récemment vu un portefeuille d’actions d’une valeur de 600 000 $ dans lequel 35 % (210 000 $) était investi dans un seul titre, soit celui de l’employeur de l’investisseur. Sans égard aux considérations fiscales, cet investisseur était réticent à vendre une partie de ses actions, car il croyait que le titre allait continuer de bien faire.

Je lui ai demandé : « Si vous receviez un héritage de 600 000 $ demain matin, est-ce que vous achèteriez pour 210 000 $ d’actions de cette société, si vous n’en aviez pas? » Autrement dit, est-ce que cet investisseur répliquerait son portefeuille actuel? Sa réponse : « Bien évidemment, non! ». Cet investisseur était biaisé par l’effet de dotation : il valorisait davantage un bien qu’il possédait déjà.

L’énergie déployée

Vous passez des dizaines et des dizaines d’heures à analyser un titre pour finalement l’acheter dans votre portefeuille. Vous détenez ensuite ce titre pendant cinq ans. Le titre semble faire du surplace. Pourtant, vous êtes convaincu que le titre est une aubaine. Êtes-vous victime de l’effet de dotation sans vous en rendre compte? Faites-vous erreur en valorisant davantage un titre que vous détenez?

Dans son livre Avantage Bourse, Philippe Le Blanc écrit : « Plus on investit de temps et d’énergie dans la décision d’acheter un titre ou un objet, plus la décision de vendre devient difficile ».

Chercher à les contrôler

Les biais psychologiques sont multiples et le simple fait d’en être conscient peut nous aider à diminuer leur impact sur nos décisions. Une façon simple de mitiger l’effet de dotation est de créer des listes de contrôle (des « checklists ») à l’achat et à la vente. L’objectif est de trouver votre propre façon de rester le plus méthodique possible lorsque vient le temps de prendre une décision.

En conclusion, faites attention de ne pas surévaluer un titre simplement parce que vous le détenez dans votre portefeuille.

_______

Le blogue de Jean-Philippe Legault est publié sur
logo-les-affaires.png