2025-05-09

Les investisseurs vivent une période de grande incertitude en raison de ce qui se passe chez nos voisins du Sud. Et qui dit incertitude, dit stress.

Or, c’est dans les périodes de stress élevé que le volet psychologique de l’investissement prend toute son importance. Quand tout va bien, la plupart des investisseurs se considèrent comme des investisseurs à long terme, mais combien d’entre eux perdent leurs moyens lors des grandes périodes de stress ?

J’ai consacré l’une des trois sections de mon livre « Avantage Bourse » à la psychologie de l’investissement. Dans cette section, j’y ai notamment cité Gautam Baid, auteur du livre « The Joys of Compounding » (un livre à lire !) au sujet de la psychologie : « La performance que vous obtiendrez pendant votre carrière d’investisseur sera principalement déterminée par votre comportement durant les rares périodes de débordements extrêmes des marchés boursiers. » Je ne dirais pas que nous traversons actuellement une telle « rare période de débordement extrême », mais je crois que plusieurs investisseurs pourraient être tentés de le penser.

Dans de telles conditions, il est bon de se rappeler certains des biais psychologiques susceptibles de nous faire perdre pied pendant les périodes particulièrement stressantes.

Je reviens donc sur les 10 instincts psychologiques identifiés par M. Hans Rosling dans son livre Factfulness : Ten Reasons We’re Wrong About the World – and Why Things Are Better Than You Think, un autre ouvrage que je recommande chaudement. Vous constaterez que la plupart de ces instincts psychologiques expliquent les comportements que pourraient adopter les investisseurs en ce moment.

  1. L’instinct du vide (Gap Instinct). Cet instinct concerne notre tendance naturelle à diviser le monde en deux groupes distincts et incompatibles, et à imaginer un vide (gap) immense entre les deux. Ouest et Est. Pays développés et pays sous-développés. Riches et pauvres. Pays démocratiques et pays totalitaires. Républicains et démocrates. La réalité est que le monde est rarement noir ou blanc, mais généralement gris : la majorité des phénomènes se trouvent quelque part dans le vide entre les deux extrêmes que nous avons en tête. En ce moment, tout peut nous sembler noir aux États-Unis, mais est-ce bien le cas ?

  2. L’instinct de négativité (Negativity Instinct). Les mauvaises nouvelles captent davantage notre attention que les bonnes. Ces jours-ci, la plupart des médias sont particulièrement négatifs et se font l’écho des nouvelles anxiogènes.

  3. L’instinct de la ligne droite (Straight Line Instinct). Nous avons tendance à extrapoler : naturellement, nous imaginons qu’une trajectoire ou une tendance récente se poursuivra dans la même direction et au même rythme. Je crois que la direction que prend la nouvelle administration américaine n’est pas la bonne, mais il ne faut pas extrapoler la tendance récente. La direction pourrait très bien changer au cours des prochains mois.

  4. L’instinct de la peur (Fear Instinct). Il est difficile de penser clairement dans les meilleures conditions ; imaginez lorsque nous avons peur. Or, n’y a-t-il pas plusieurs raisons d’avoir peur actuellement, que ce soit la menace de voir le Canada devenir un État américain ou celle que des tarifs douaniers fassent basculer notre économie en récession ?

  5. L’instinct de la dimension (Size Instinct). Nous avons tous tendance à prêter attention aux choses hors de proportion, à mal juger l’ampleur ou l’importance d’un phénomène ou d’un chiffre.

  6. L’instinct de la généralisation (Generalization Instinct). Nous partageons tous une propension naturelle à catégoriser. Mais les catégories peuvent être trompeuses. En ce moment, on pourrait facilement mettre tous les Américains dans le même panier que leur président, mais ce serait une généralisation erronée.

  7. L’instinct du destin (Destiny Instinct). Il faut se méfier de notre tendance naturelle à croire que « les choses ont toujours été ainsi et qu’elles ne changeront pas. » En effet, je me demande si ce qui semble être une attaque en règle contre la démocratie aux États-Unis et dans d’autres pays depuis quelque temps ne mènera pas ultimement à une revalorisation des valeurs démocratiques et au renforcement des contre-pouvoirs qui l’ont protégée depuis des décennies.

  8. L’instinct de la perspective unique (Single Perspective Instinct). Les idées simples qui expliquent tous les phénomènes sont souvent erronées. Nous avons tous tendance à voir les choses selon notre expérience.

  9. L’instinct du blâme (Blame Instinct). Nous cherchons toujours à blâmer quelqu’un pour un problème quelconque, mais il faut avant tout blâmer le système. Nous devons chercher à comprendre le système, la manière dont le monde fonctionne, plutôt que de pointer les fautifs du doigt. En ce moment, nous savons qui notre doigt désigne pour la plupart des problèmes de la planète.

  10. L’instinct d’urgence (Urgency Instinct). Lorsqu’on se sent contraint de prendre des décisions rapides, nous commettons des erreurs. Il me semble qu’une des tactiques de négociation de l’administration américaine est de déstabiliser, notamment en plaçant les gens devant des ultimatums rapides.

Je suis le premier à dire que la situation actuelle est des plus désagréables. Mais qui a dit qu’investir à long terme était toujours agréable ? Ce que j’ai appris de mes lectures, en plus de mon expérience des 40 dernières années en Bourse (qui comptent plusieurs périodes hautement incertaines et stressantes !), me dit que la pire chose à faire en ce moment serait de paniquer et de dévier de son plan de match à long terme. Ne nous laissons pas devenir notre propre pire ennemi.

 

Philippe Le Blanc, CFA, MBA
Chef des placements chez COTE 100

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