2025-10-09

Simplifions un peu.

À sa plus simple forme, l’investissement consiste à différer la gratification : on repousse une consommation immédiate dans le but de pouvoir consommer davantage plus tard.

Parallèlement, l’évaluation d’un actif financier repose sur l’actualisation de ses flux de trésorerie libres futurs (cash flows après investissements en immobilisations et autres investissements).

C’est vrai pour n’importe quel actif, qu’il s’agisse d’un immeuble locatif, d’une terre à bois, d’une obligation de la ville de Saint-Jérôme, d’une mine d’or potentielle ou du titre d’IBM.

Pour tout actif, le travail d’un investisseur consiste à évaluer les flux de trésorerie libres futurs, à les escompter à une valeur actuelle et à déterminer si cette valeur estimée est supérieure ou inférieure à son cours actuel. C’est la base de l’investissement.

Évidemment, même si cette méthode d’évaluation d’un actif est simple, son application est loin d’être facile et précise. Pour de nombreux actifs, à part peut-être une obligation, il est difficile, sinon impossible, de projeter avec précision les flux de trésorerie libres futurs. Et même si l’on pouvait le faire, il resterait la question du taux d’escompte à utiliser pour actualiser ces flux, en fonction de nombreux paramètres, dont notre estimation du niveau de risque. En somme, l’évaluation de la plupart des actifs financiers repose sur des projections hautement incertaines. Même si des modèles mathématiques nous permettent de calculer la valeur de tout actif avec une grande précision, tout le processus repose sur des paramètres très incertains. La finance est une discipline qui allie science et intuition.

C’est ici que la notion de « marge de sécurité » prend toute son importance. Il est en effet essentiel d’être conservateur dans l’évaluation d’un actif et de se ménager un bon coussin de sécurité en tentant de l’acheter à un prix significativement inférieur à l’évaluation que l’on en fait.

Je pense que c’est justement cette grande incertitude, ainsi que l’apport conséquent du rêve et de l’espoir, qui engendre régulièrement des périodes de forte spéculation et d’engouement sur les marchés boursiers. Je crois également que c’est ce même phénomène qui explique pourquoi les actifs qui attirent généralement la spéculation débridée sont ceux qui suscitent des sentiments d’espoir et de rêve, mais qui sont encore très éloignés de produire des flux de trésorerie libres. Certains spéculateurs miniers préfèrent acheter des titres de sociétés minières avant qu’elles n’exploitent leur mine, croyant qu’il y a plus de chances que leurs projets inspirent des rêves et obtiennent de fortes évaluations. Car, une fois qu’une mine est exploitée, son évaluation tend à refléter ses résultats économiques.

Ces jours-ci, on observe un engouement considérable pour les actifs liés à l’intelligence artificielle. Pour ces titres, on combine selon moi les deux caractéristiques qui favorisent la spéculation : le rêve et la difficulté d’évaluer l’actif. Dans une telle situation, nous sommes dans le domaine de la spéculation et non dans celui de l’investissement.

Tout le monde s’accorde à dire que le potentiel de l’IA est gigantesque et que les retombées économiques seront énormes au cours des prochaines années. C’est ce qui nourrit le rêve de nombreux spéculateurs. En même temps, il reste encore très difficile de savoir où cette technologie nous mènera, qui seront les gagnants et si le secteur s’avérera rentable pour les sociétés qui y participent. Pour la plupart des entreprises du secteur, les bénéfices et les flux de trésorerie libres, surtout avec les investissements massifs qu’elles doivent réaliser, demeurent incertains, voire nébuleux. C’est à mon avis ce qui crée tout l’engouement pour les titres liés à l’IA actuellement.

Un jour viendra cependant où nous commencerons à mieux discerner le modèle d’affaires de l’industrie de l’IA, les revenus qu’elle pourra générer, les sociétés qui pourraient prendre les devants et les profits qu’elles pourraient dégager. Il deviendra alors plus facile d’évaluer ces sociétés. C’est probablement à ce moment-là que de nombreux titres, emportés aujourd’hui par le rêve et la spéculation, pourraient retomber sur terre.

Philippe Le Blanc, CFA, MBA
Chef des placements chez COTE 100

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