Pour mieux comprendre le paradoxe, prenons le cas du jeu d’échecs. Lorsqu'il est pratiqué à un haut niveau, le jeu d’échecs est extrêmement complexe. Pourtant, il est relativement simple de développer un logiciel capable de battre les meilleurs joueurs au monde. Autrement dit, il est plus facile de créer le logiciel que de devenir le meilleur joueur. En dehors des échecs, il existe de multiples tâches pour lesquelles l’humain ne peut rivaliser avec l'intelligence artificielle et la robotique, telles que l’analyse de données, les simulations scientifiques et l’optimisation logistique.
À l’inverse, des tâches qui nous semblent banales, comme la motricité (marcher, prendre un crayon, ouvrir une porte) et les interactions sociales (détecter le sarcasme, tenir une conversation logique et organisée), sont loin d’être évidentes pour la robotique et l’intelligence artificielle. Les avancées technologiques progressent, mais nous sommes encore loin d’atteindre la fluidité humaine.
En résumé, ce qui est simple et inconscient pour un humain est très complexe à programmer, tandis que les tâches complexes pour un humain sont plus faciles à coder. C’est ce qu’on appelle le paradoxe de Moravec.
Dans le domaine de l’investissement, je remarque que ce paradoxe s’inverse souvent. Ce qui devrait être relativement simple pour un humain se révèle souvent très difficile à réaliser. Voici quelques exemples.
Un titre boursier que vous suivez depuis longtemps ne cesse de baisser. Les nouvelles sont constamment négatives, et les investisseurs affichent un fort pessimisme. Pourtant, vos recherches approfondies vous laissent croire qu’il y a peu de raisons d'être pessimiste. Les résultats demeurent solides, et vous entrevoyez que cette tempête est passagère, avec un potentiel de croissance sain à long terme. De plus, la baisse du titre rend son évaluation d'autant plus intéressante. Malgré votre analyse détaillée, vous évitez d’acheter le titre, car vous hésitez à aller à contre-courant, à l’inverse de la foule. Dans ce cas, la tâche est pourtant simple : acheter un titre que vous jugez intéressant après une chute importante. Bien que cela semble simple, le contexte psychologique rend cette action complexe à réaliser pour un humain.
Vous détenez un titre dans votre portefeuille depuis plusieurs années et vous connaissez bien la société. Toutefois, vous sentez que les perspectives de croissance à long terme se dégradent. La compétition s’intensifie, et la solidité du modèle d’affaires que vous appréciiez autrefois s’effrite progressivement. L’appréciation potentielle du titre vous semble modérée, sans plus. Malgré cela, vous ne souhaitez pas vendre, car votre coût d’acquisition est supérieur au cours actuel du titre. En vendant, vous matérialiseriez votre perte et, du même coup, confirmeriez l’échec de votre investissement. Dans ce cas, vous souffrez du biais psychologique d’ancrage, où votre attention est portée sur un point précis. En excluant les considérations fiscales, un ordinateur n'accorderait aucune importance au prix payé. Ignorer le prix d’achat de vos actions est pourtant simple à effectuer, mais souvent difficile à réaliser pour un investisseur.
En mars 2020, le début de la pandémie de COVID a frappé les marchés boursiers de plein fouet. À l’époque, vous avez examiné vos titres et remarqué un niveau de volatilité très élevé qui vous rendait inconfortable. Les médias étaient remplis de mauvaises nouvelles, et il devenait difficile de prévoir l’avenir. Vos titres enregistraient des baisses significatives. Pris de panique, vous liquidez l'ensemble de votre portefeuille. Quelle aurait été la tâche la plus simple à accomplir ? Celle de ne rien faire. Il n’existe probablement pas de tâche plus simple que celle de ne rien faire. Pourtant, plusieurs investisseurs ont échoué à cette tâche et ont vendu.
Ce qui semble être le plus simple pour un investisseur boursier est souvent ce qui est le plus difficile à réaliser.
Jean-Philippe Legault, CFA
Gestionnaire de portefeuille chez COTE 100
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