2025-06-06

Ce texte est le troisième d’une série de six sur les grands principes psychologiques présentés par le docteur Cialdini dans son livre Influence.

Le principe que j’aborde est celui de l’« engagement et de la constance ». Selon le docteur Cialdini, ce principe « est, tout simplement, notre désir quasi obsessionnel d’être (et de paraître) cohérents avec ce que nous avons déjà fait. Une fois que nous avons fait un choix ou pris position, nous subissons des pressions, à la fois personnelles et interpersonnelles, pour agir de manière cohérente avec cet engagement.»

Une fois que nous avons pris une décision, nos actions subséquentes tendent à justifier cette décision. Comme les autres principes évoqués par Cialdini, le principe de l’« engagement et constance » nous est bénéfique dans la grande majorité des situations. Il confère l’avantage de réduire l’énergie que nous devons investir dans des décisions moins importantes. Je crois que c’est le philosophe Bertrand Russell qui a dit : « La majorité des hommes préféreraient mourir plutôt que d’être obligés de réfléchir. Pour la plupart, c’est ce qui se passe. »

Le principe de « l’engagement et de la constance » est particulièrement puissant lorsque la décision ou l’engagement a été rendu public, et encore plus s’il a été formulé par écrit. Ainsi, si vous voulez perdre du poids, écrivez publiquement que vous avez décidé de le réduire à 175 livres à une date précise. Vous verrez à quel point vous vous sentirez « obligé » de respecter votre engagement ! Un autre engagement public lié à l’investissement pourrait être de déclarer publiquement votre intention d’économiser et d’investir 10 % de votre revenu annuel.

Chez COTE 100, je réalise aujourd’hui qu’il nous a été très bénéfique de communiquer constamment notre philosophie d’investissement, que ce soit par le biais de la Lettre financière COTE 100, nos conférences, les livres que nous avons publiés, et j’en passe. Cette communication constante et publique a solidement ancré cette philosophie en nous. Je crois aussi que c’est une des raisons pour lesquelles nous n’avons, selon moi, jamais dérogé à cette philosophie. Comme l’écrit l’auteur de Persuasion« Les engagements publics tendent à devenir des engagements durables. »

On pourrait aussi dire que la discipline de publier nos décisions pourrait nous influencer négativement dans nos choix de vente de certains titres. C’est un biais que nous reconnaissons et auquel nous devons constamment faire face. Pour le contrer, nous réévaluons sans cesse nos investissements, en particulier les titres qui ne nous ont pas procuré de rendements satisfaisants. J’ajouterais que notre quête incessante de nouvelles idées d’investissement nous pousse à vendre les titres les moins intéressants de nos portefeuilles, car la vente d’un titre existant est la seule façon de financer l’achat d’un nouveau titre dans un portefeuille pleinement investi.

Il est difficile de changer d’opinion lorsqu’on s’est engagé dans une direction. De plus, nous avons tendance à nous associer avec des gens qui pensent comme nous et à éviter de parler à ceux qui ont des opinions divergentes. Le biais de confirmation, selon lequel nous avons tendance à ne tenir compte que des informations qui confirment nos décisions ou nos opinions, est un autre élément qui contribue à nous faire camper sur nos positions. Les réseaux sociaux amplifient ce phénomène et peuvent en partie expliquer la polarisation des opinions dans nos démocraties.

Cela dit, même si le principe de l’engagement et de la constance nous est bénéfique dans la majorité des cas, il ne faut pas qu’il devienne un automatisme que l’on suit aveuglément dans toutes les circonstances. À l’occasion, particulièrement pour des décisions importantes, il est essentiel de prendre le temps de réfléchir, de prendre du recul et de se demander si nos automatismes sont la bonne voie à suivre. Si la constance est généralement une bonne chose dans la vie, la rigidité est à proscrire.

À mon avis, une des grandes forces de Warren Buffett est qu’au cours de sa carrière, il a réussi à maintes reprises à revenir sur ce qu’il avait dit ou écrit publiquement. Par exemple, il a débuté sa carrière en investissant dans des titres de sociétés de qualité douteuse, mais fortement sous-évalués (ce qu’il appelait des « mégots de cigarettes »). Toutefois, au fil des ans et au contact de Charlie Munger, il a changé d’approche et a plutôt investi dans des sociétés de grande qualité à prix raisonnable. Par ailleurs, il y a quelques années, alors qu’il avait souvent écrit que la technologie était en dehors de son cercle de compétence, il a tout de même investi des sommes substantielles dans Apple. Moins glorieusement, il a aussi investi dans les quatre grandes sociétés de transport aérien américaines alors qu’il avait toujours dit que cette industrie était très peu attrayante.

Cette grande ouverture d’esprit exhibée par Warren Buffett est une qualité que les investisseurs devraient chercher à développer. Par exemple, dans notre gestion, nous avons également commencé à investir dans quelques sociétés étrangères à partir de 2019, alors que nous avions toujours dit qu’il y avait amplement de choix en Amérique du Nord pour nous satisfaire.

Comment contrer le principe de l’engagement et de la constance ?

Selon le docteur Cialdini, la solution passe par la connaissance du principe et du sentiment qu’il nous fait ressentir, ainsi que par la prise de conscience des sentiments qu’il suscite lorsqu’il nous prend dans son engrenage. Dans de telles situations, nous devrions nous poser cette question : « Sachant ce que je sais maintenant, si je pouvais revenir en arrière, ferais-je le même choix ? »

J’ajouterais qu’il faut faire attention aux actions que l’on prend au jour le jour, qui pourraient nous mener inexorablement vers des positions d’où il devient difficile de revenir.

Philippe Le Blanc, CFA, MBA
Chef des placements chez COTE 100