En examinant le bilan du Canadien National, nous constatons que 84 % de ses actifs sont constitués de propriétés et d’équipements, tels que les chemins de fer et les locomotives. À l’inverse, si l’on examine le bilan de Netflix, nous réalisons que les propriétés et l’équipement ne représentent que 3 % de ses actifs.
Les sociétés détenant des actifs réels, comme le Canadien National, disposent d'un avantage que les sociétés technologiques n’ont pas : la capacité d’amortir une partie importante de leurs dépenses. Pour illustrer ce propos, je vais utiliser un exemple fictif qui vise à rendre l’explication aussi simple que possible.
Imaginez que le CN doive acheter de nouvelles locomotives coûtant 30 M$. Lorsqu’elle effectue l’acquisition, elle retire 30 M$ de son compte bancaire. D’un point de vue comptable, cette somme n’apparaîtra pas immédiatement dans les dépenses de la société, car elle utilise le concept de capitalisation d’un actif et de sa dépréciation future. Pour simplifier mon exemple, supposons que la durée de vie utile d’une locomotive soit de six ans (bien qu’en réalité, elle soit d’environ 25 ans). La règle comptable lui permet donc d’enregistrer des dépenses de 5 M$ par an pendant les six prochaines années, jusqu’à un total de 30 M$.
À l’inverse, une société comme Netflix, qui investit 30 M$ en recherche et développement pour développer son offre publicitaire, ne peut pas appliquer le même principe que le CN ; elle ne peut pas capitaliser cette dépense. Comme le CN, elle retirera 30 M$ de son compte bancaire pour payer les employés ayant développé le système. Cependant, contrairement au CN, l’investissement de 30 M$ de Netflix représente une dépense et non un actif.
Si le Canadien National et Netflix réalisent tous les deux des revenus de 100 M$ cette année, la possibilité pour le CN de capitaliser davantage de dépenses et de les amortir par la suite lui permettra de dégager des bénéfices largement supérieurs à ceux de Netflix.
Canadien National | Netflix | |
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Revenus | 100 M$ | 100 M$ |
Dépenses | 5 M$ | 30 M$ |
Impôts à payer (20 %) | 19 M$ | 14 M$ |
Bénéfices nets | 76 M$ | 56 M$ |
Imaginez maintenant que la capitalisation boursière des deux sociétés soit de 1,0 milliard de dollars. Les ratios cours/bénéfices des deux sociétés seront donc largement différents : le CN affichera un ratio de 13,2 fois les bénéfices, tandis que celui de Netflix sera de 17,9.
En conclusion, bien que les deux sociétés aient le même prix en bourse tout en réalisant les mêmes revenus et dépenses, les règles comptables entraînent des ratios cours/bénéfices très différents.
Pour moi, cette différence semble illogique. N’est-il pas raisonnable de penser que l’investissement dans la plateforme de publicité de Netflix aura une durée de vie utile d’au moins six ans ? Les normes comptables permettent à Netflix d’amortir la création de son contenu au fil des ans ; alors pourquoi n’aurait-elle pas droit au même avantage pour le développement de ses solutions technologiques ?
L’impact d’une telle divergence s’accentue pour des sociétés qui dépensent une proportion élevée de leurs revenus en R&D. Quelles sont les solutions pour remédier à ce problème ?
La première solution consiste à ajuster les bénéfices comptables des sociétés technologiques afin de réduire ce désavantage. Cette tâche est loin d’être facile. Premièrement, il est difficile d’estimer la durée de vie utile d’un actif intangible. Le système de publicité de Netflix devrait-il être amorti sur 2 ans ou 10 ans ?
Deuxièmement, les détails liés aux dépenses en R&D dans les états financiers sont souvent obscurs. En effet, parmi l’ensemble des dépenses, il existe probablement des dépenses de recherche qui n’aboutiront à rien et ne créeront aucune valeur ajoutée pour la société. Ces dernières ne devraient pas être amorties. De plus, pour des raisons concurrentielles évidentes, les dirigeants d’entreprises ne veulent pas divulguer la teneur exacte de leurs investissements en R&D.
Troisièmement, il faut ajuster le bilan et l'état des résultats afin d'inclure les dépenses de recherche et développement antérieures.
Pour mettre en œuvre cette première solution, il est nécessaire d'avoir une bonne connaissance de la comptabilité ainsi que de la société et des projets en développement.
Une autre alternative, plus simple, consiste à comparer les deux sociétés sur une base équivalente, celle des flux de trésorerie libres. Cette méthode cherche à examiner ce qui entre et ce qui sort des coffres de la société. Dans l'exemple précédent, Netflix et le CN enregistrent des entrées équivalentes de 100 $ et des sorties de 30 $.
Je ne cherche pas à faire un exposé sur la comptabilité. En réalité, il existe une multitude d'exceptions, de différences et d'ajustements nécessaires, où chaque société doit être abordée de manière différente selon ses propres normes comptables (GAAP ou IFRS).
Mon but est de démontrer que les bénéfices comptables peuvent parfois être trompeurs. Vous risquez de faire fausse route si vous examinez le ratio cours-bénéfices d'une société sans prendre en compte les détails et les dépenses qui mènent à ce résultat.
Jean-Philippe Legault, CFA
Gestionnaire de portefeuille chez COTE 100
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