2023-07-21

Par Jean-Philippe Legault, blogueur invité

Dans mon blogue de la semaine dernière, j’expliquais qu’il est important pour les sociétés d’échouer intelligemment dans leur quête d’innovation. Toutefois, l’innovation n’est pas une tâche facile à accomplir. Selon moi, plusieurs sociétés souffrent du dilemme de l’innovateur.

Le dilemme de l’innovateur a été popularisé par Clayton Christensen en 1997 avec la publication de son livre The Innovator’s Dilemma. Dans son livre, M. Christensen explique pourquoi les sociétés dominantes s’ajustent difficilement à l’arrivée d’une nouvelle technologie perturbatrice. Pour simplifier ce concept, je vais reprendre un exemple tiré du livre.

Les pelles mécaniques

Il y a de nombreuses années, les excavatrices fonctionnaient à l’aide d’un système de câbles et de poulies qui permettaient de contrôler le mouvement de la pelle mécanique. Pour l’époque, ces pelles étaient efficaces et utilisées par une multitude de clients tels que les sociétés d’excavation, de construction et d’exploitation minière.

En 1947, une nouvelle technologie a vu le jour : les pelles hydrauliques. Au départ, ces pelles étaient de petite taille et montées sur des tracteurs agricoles. Leur puissance était très limitée et ne permettait d’excaver qu’une toute petite quantité de terre à la fois.

Étant donné la faible capacité de ces dernières, les clients utilisant les pelles à câbles démontraient peu d’intérêt pour les pelles hydrauliques. Par conséquent, les fabricants de pelles à câbles voyaient peu ou pas d’intérêt à développer cette nouvelle technologie. Au fil des ans, la technologie des pelles hydrauliques s’est améliorée et ultimement, l’hydraulique a surpassé la technologie des pelles à câbles.

Malheureusement, seulement quatre des trente fabricants de pelles à câbles ont réussi à se réinventer en fabricants de pelles hydrauliques. Pourquoi un taux d’échec aussi élevé? L’une des raisons est que les dirigeants devaient choisir entre :

  • Répondre aux besoins actuels de leurs clients et chercher à gagner des parts de marché

    ou
  • Innover et investir dans une technologie encore embryonnaire dans un marché peu développé.

Comme le dit si bien M. Christensen : « Elles ont échoué parce que l’hydraulique n’avait pas de sens – jusqu’à ce qu’il soit trop tard ».  Voilà le dilemme de l’innovateur.

Eastman Kodak

Vous vous souvenez probablement de la société Eastman Kodak qui, à une certaine époque, dominait le marché de la photographie. La société fournissait des pellicules photo qui répondaient parfaitement aux besoins de ses clients. L’avènement de la nouvelle technologie des photos numériques ne lui semblait pas une menace puisqu’elle était plus dispendieuse et de qualité médiocre.

Kodak se retrouvait toutefois devant un dilemme : investir dans une technologie encore embryonnaire qui ne répondait pas aux besoins de ses clients ou continuer de miser sur la vente hautement profitable de pellicules. Mettre l’accent sur le numérique risquait de cannibaliser les revenus des pellicules photo.

Au fil des ans, la technologie numérique s’est améliorée et Eastman Kodak n’a pas su innover et s’adapter à temps. Elle a échoué parce que la photo numérique n’avait pas de sens – jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

Google

Le cas de Google et de ChatGPT me semble un bel exemple récent du dilemme de l’innovateur. Pour ceux et celles qui ne connaissent pas l’outil, l’application ChatGPT a été introduite en 2022 par la société OpenAI. Cette solution informatique peut interpréter et générer du texte en réponse à des questions posées par ses utilisateurs. Bien qu’elle soit avancée, la technologie offerte par ChatGPT demeure imparfaite et plusieurs améliorations technologiques sont encore nécessaires. Selon moi, cette technologie illustre bien le concept de technologie perturbatrice.

Revenons maintenant à Google. Pourquoi n’a-t-elle pas été la première à commercialiser une solution similaire à celle de ChatGPT? Pourtant, elle possédait amplement de ressources financières et d’employés compétents, en plus d’avoir elle-même participé au développement de la technologie de base derrière ChatGPT.

La réponse se trouve peut-être dans la forme actuelle de ChatGPT qui ne répond pas précisément aux besoins immédiats des clients de Google, ces derniers voulant avant tout afficher de la publicité. Mais surtout, je crois que l’accent mis sur cette nouvelle technologie risquait de cannibaliser les revenus de Google. Comme Kodak, elle était donc probablement face à un dilemme : elle devait soit décider entre développer et déployer une technologie encore embryonnaire qui ne répondait pas aux besoins immédiats de ses clients, soit continuer de miser sur la vente de publicité hautement profitable.

Selon moi, ces exemples démontrent bien le dilemme auquel les compagnies sont couramment confrontées lors de l’arrivée d’une nouvelle technologie. En terminant, Google a récemment annoncé le lancement d’une solution similaire à ChatGPT. On peut certainement spéculer sur les raisons qui ont poussé Google à ne pas déployer sa solution en premier. En revanche, on peut certainement affirmer que les dirigeants ont été confrontés au dilemme de l’innovateur.