2024-07-19

PAR JEAN-PHILIPPE LEGAULT, BLOGUEUR INVITÉ

Les dirigeants des sociétés cotées en Bourse ont l’habitude de tenir une conférence téléphonique à l’intention des analystes et des investisseurs après la publication de leurs résultats financiers trimestriels. Dans ces appels, ils présentent les résultats de leur société et comparent la performance par rapport à la même période de l’année précédente.

Je crois que la comparaison par rapport à l’année précédente est une bonne approche, puisqu’il existe souvent une certaine saisonnalité entre les trimestres. Par exemple, un magasin de jouets générera davantage de revenus durant la période des Fêtes (octobre, novembre et décembre) que durant les premiers mois de l’année (janvier, février et mars). Il est donc naturel de vouloir comparer la période des Fêtes de 2023 à celle de 2022.

Durant ces conférences téléphoniques, les dirigeants présentent toutes sortes d’explications pour justifier leur performance. Par exemple, la croissance des revenus peut provenir de la signature de nouveaux clients, de l’ouverture de magasins, d’une acquisition importante ou du lancement d’un nouveau produit. Lorsque les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes, on peut entendre des justifications telles que : l’économie est au ralenti, la concurrence est féroce, ou que des dépenses non récurrentes ont plombé les résultats.

Après avoir lu et écouté des centaines de ces conférences, je réalise que les dirigeants attribuent souvent les bonnes performances à leurs actions, alors que les mauvaises performances sont imputées à des facteurs externes. Comme le mentionnait Philippe Le Blanc dans son récent blogue, il est rare de voir les dirigeants prendre le blâme pour les mauvaises performances.

Lors de la dernière période de publication de résultats trimestriels, en avril et mai derniers, j’ai remarqué que plusieurs sociétés dont les résultats étaient plus faibles que prévu ont blâmé la météo. C’est une excuse classique en investissement, mais j’ai senti qu’elle était utilisée davantage qu’à l’habitude. Il est vrai que janvier 2024 a été peu clément dans certaines régions de l’Amérique du Nord. Mais est-ce suffisant pour justifier une contre-performance?

Je crois qu’un investisseur se doit de prendre le temps de réfléchir aux excuses qui sont avancées par les dirigeants et d’en tirer ses propres conclusions.

Il existe des situations évidentes comme celle d’une compagnie d’assurance qui mentionne que la météo a causé plus de sinistres qu’à l’habitude. Un hiver rigoureux causera probablement plus d’accidents sur la route. De même, une société agricole sera définitivement affectée par les mauvaises conditions météorologiques.

À l’inverse, je suis toujours un peu perplexe lorsque j’entends qu’une chaîne de magasins de meubles ou une société pharmaceutique affirment avoir été affectés par la mauvaise météo. Cette dernière peut certainement avoir eu un impact sur leurs résultats, mais une telle excuse est parfois un peu facile. Est-ce réellement la météo qui a causé des difficultés ou plutôt une mauvaise exécution de la part des dirigeants?

Lorsque j’entends des excuses de la part des dirigeants d’une entreprise, j’aime jeter un coup d’œil à ses compétiteurs afin de voir s’ils sont aux prises avec les mêmes difficultés. Il m’est alors possible de déterminer s’il s’agit d’une problématique généralisée dans l’industrie ou spécifique à l’entreprise.

Selon moi, on peut analyser les excuses des dirigeants à deux niveaux.

Pour illustrer ce propos, prenons l’exemple d’une société qui dit avoir eu de la difficulté à recruter, ce qui a entraîné une plus faible croissance que prévue. Le premier niveau serait de conclure que le marché de l’emploi est restreint. L’analyse au second niveau m’inciterait à comparer le salaire des employés par rapport aux compétiteurs ou à évaluer la réputation de la firme. Au premier niveau, on pourrait conclure à un problème de nature externe, alors que le second niveau nous permettrait de potentiellement découvrir un problème interne. À bien y penser, vous n’entendrez presque jamais un dirigeant affirmer que la mauvaise culture d’entreprise a entraîné un taux de roulement élevé ainsi que des difficultés d’embauche. C’est notre travail, en tant qu’investisseurs, de chercher à comprendre la source des problèmes liés aux excuses.

En somme, les excuses m’amènent à investiguer et à découvrir occasionnellement des problèmes qui sont plus profonds que l’excuse initiale. En général, nous faisons confiance aux dirigeants des sociétés que nous détenons en portefeuille. Toutefois, nous nous assurons de demeurer objectifs et de vérifier les dire des dirigeants lorsque les excuses semblent tirées par les cheveux.

Dans le sport, les excuses d’une équipe perdante sont rarement bien vues. La même culture devrait être adoptée dans le monde corporatif.

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Le blogue de Jean-Philippe Legault est publié sur
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